Un festival d'improvisation sur les orgues de Lausanne

Par Gaël Liardon - Les Goûts réunis, programme de la saison 1997

La vie musicale de notre siècle est sous bien des rapports extrêmement singulière, et la place qu'y occupe la musique ancienne n'en est pas l'aspect le moins curieux: jamais au cours de l'Histoire on a autant pratiqué, étudié et consommé les œuvres du passé. Certains voient dans ce phénomène une inquiétante anomalie et trouvent malsain que la musique d'aujourd'hui soit moins écoutée que celle d'hier. D'autres se réjouissent au contraire des immenses progrès qu'ont faits les musiciens depuis quelques dizaines d'années dans la compréhension et l'exécution des musiques anciennes. D'autres encore espèrent que ces efforts n'auront pas pour seule fin de faire revivre un répertoire oublié, mais aboutiront finalement à un enrichissement de la musique contemporaine.

Jouer la musique ancienne aujourd'hui pourrait en effet ne pas être l'expression d'une nostalgie stérile, mais un tremplin vers la musique du futur. L'héritage grec antique n'a-t-il pas alimenté de la même manière la culture et les arts de la Renaissance? Cependant, pour qu'il en soit réellement ainsi, il faudrait s'attacher à étudier non seulement le répertoire ancien et ses techniques, mais également la manière dont la musique était vécue par les anciens, sans quoi notre musique ancienne risque fort de rester comme une écorce sans tronc ni sève.

Parmi les éléments fondamentaux de cette vie musicale se trouvait l'improvisation. D'innombrables témoignages attestent que les musiciens, et les organistes en particulier, étaient jusqu'au XIXe siècle avant tout des improvisateurs, et qu'ils étaient formés pour cela de manière structurée et efficace. Beaucoup de musiciens d'aujourd'hui lisent et commentent ces textes, mais rares sont ceux qui les mettent en pratique. Les figures de Bach, Sweelinck, Frescobaldi, etc. improvisant à l'orgue demeurent pour beaucoup aussi désincarnées que des dieux mythologiques, et l'improvisation reste (pour les musiciens dits "classiques") une curiosité rare et exotique.

Un courant semble pourtant se dessiner, qui engendrera peut-être une véritable renaissance de cet art dans les prochaines décennies. De prestigieuses institutions comme la Schola Cantorum Basiliensis ou la Norddeutsche Orgelakademie entre autres, y ont déjà œuvré efficacement. Désireux de participer à leurs efforts, nous avons souhaité créer un festival d'improvisation sur les orgues de la ville de Lausanne, qualifiée récemment par un journaliste de "capitale de l'orgue de qualité". Un cours et deux concerts quotidiens auront lieu pendant quatre jours sur les instruments de St-Laurent, St-Paul, St-François et Villamont. Ces instruments très typés permettront d'aborder l'improvisation dans des styles allant de la Renaissance au XXe siècle. Les organistes ne seront pas les seuls à pouvoir profiter de ces cours : celui de Harald Vogel abordera également le clavicorde, et celui de Freddy Eichelberger sera ouvert à tous les instrumentistes.

En donnant l'occasion aux musiciens et aux mélomanes d'entendre les grands maîtres actuels de l'improvisation parler de leur art et le pratiquer, nous espérons créer un équivalent "classique" des festivals de jazz, et redonner un élan de vie et d'enthousiasme à la pratique de la musique spontanée, qui était celle des grands auteurs de notre répertoire.

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